Audi, un scandale d’Etat
Il faut plaindre les travailleurs d’Audi qui se retrouvent pratiquement sans perspective. L’une des seules usines importantes de la Région bruxelloise risque fort de devoir fermer et on commence à envisager que seule une partie limitée
des travailleurs aurait peut-être une chance d’être reprise par un acheteur, qui pourrait être chinois. Tout cela parce que la firme Audi, filiale du grand
groupe Volkswagen, ne parvient pas à commercialiser suffisamment ses modèles électriques, et notamment celui que fabriquait l’usine belge.
On a ainsi vu un gouvernement fédéral, poussé dans le dos par l’Union européenne, obliger les constructeurs européens à se tourner vers l’électrique, sous la menace de sanctions. Des entreprises comme VW ont correctement
joué le jeu, en retirant même de leur gamme des modèles à essence ou au diesel. On a mis la pression aussi sur la population en annonçant avec fracas que dans à peine plus de 10 ans, les véhicules autres qu’électriques ne pourraient plus circuler à Bruxelles, comme dans d’autres villes d’Europe. La Commission européenne et la Belgique ont tout fait pour que les véhicules électriques remplacent rapidement les engins thermiques.
Le premier problème, c’est que la population ne suit pas. On arrive certes à vendre des véhicules électriques en pénalisant fiscalement les voitures de société thermiques, mais, au niveau des achats par les particuliers, les ventes plafonnent, et plafonnent même très bas. Tout simplement parce que les dirigeants n’ont pas su se rendre compte que ces voitures ne répondaient pas encore aux besoins de la plupart des conducteurs: problèmes d’autonomie, insuffisance des bornes de chargement qu’on prétend en plus taxer, durée excessive du chargement, usure
des batteries, etc. On ne doute pas qu’un jour ces problèmes seront résolus, mais cela risque de prendre des années. Des années pendant lesquelles les conducteurs doivent bien circuler d’une manière qui ne leur complique pas trop la vie.
Typhanie Afschrift
Avocate fiscaliste, professeure ordinaire à l’ULB
La seconde erreur est, au niveau européen, de ne pas avoir prévu que les voitures électriques seraient en grande partie d’origine chinoise. Cela paraissait pourtant assez facile à deviner, compte tenu des nombreux avantages concurrentiels dont bénéficient les producteurs chinois et de leur maîtrise technique de ces modèles. Non seulement, comme dans les autres domaines, la Chine peut bénéficier de coûts salariaux beaucoup plus bas, mais en outre, elle dispose, contrairement à l’Europe, de certaines matières premières indispensables à la construction des batteries. Tout cela aurait pu et dû être remarqué avant de se lancer dans cette course à la motorisation électrique.
Pour ce type de produits, comme hélas pour beaucoup d’autres, l’Europe n’est pas compétitive, à cause de son système social et fiscal extrêmement pénalisant pour les employeurs. Et en Europe, la Belgique est sans doute encore moins compétitive que la plupart des autres pays, notamment à cause de son système d’indexation des salaires, déjà en général plus élevés qu’ailleurs. Certains ont ainsi fait remarquer que pour un employeur comme Audi, travaillant dans un domaine hyper concurrentiel, devoir augmenter en peu de temps les salaires de 11 %, en suivant un système d’indexation quasiment propre à la Belgique, est un élément supplémentaire qui le pousse à la fermeture.
Le problème ne vient évidemment pas des travailleurs, réputés particulièrement productifs, et qui n’y peuvent rien. Il s’agit d’une question politique, et il faut en rechercher les responsabilités au niveau des dirigeants européens et belges. Qu’on ne nous parle plus de “l’État stratège”.