Telegram et la liberté d’expression

On a souvent dit que Telegram, réseau social qui compte un milliard d’utilisateurs, était sous l’influence russe. Aujourd’hui, on sait que ce réseau, certes dirigé par Pavel Durov, est géré depuis les Emirats arabes unis et qu’il n’est pas fort bien vu des autorités de Moscou.

En effet, alors qu’il compte près de 100 millions d’utilisateurs russes, Telegram rejette par principe toute censure, y compris à l’égard de ceux qui critiquent Poutine et son régime. On trouve sur son réseau des millions d’utilisateurs russes et aussi… ukrainiens. Ceux-ci exposent leurs opinions, souvent extrêmes et excessives, et y racontent de fausses nouvelles, notamment.

Mais finalement, ce n’est pas le régime russe qui se révèle le plus dangereux pour Pavel Durov. Ce Franco-Russe s’est fait arrêter à Paris, et il semble qu’on lui reproche essentiellement son refus obstiné de toute modération sur son réseau.
D’où, pour les autorités judiciaires françaises, des accusations de tolérer sur son réseau des actes liés à l’escroquerie, le trafic de stupéfiants, le cyberharcèlement, la criminalité organisée et l’apologie du terrorisme. Pavel Durov considère qu’il n’a pas à intervenir, en tant que gestionnaire de plateforme, alors que lui-même n’a rien à voir avec toutes ces infractions, ce qui ne semble pas contesté.

Cette situation est très grave. L’Union européenne est devenue l’un des endroits au monde où la liberté de parole sur internet est la plus attaquée.

A cause, notamment, des directives et des règlements européens introduits par le commissaire Thierry Breton, qui s’est signalé par ses attaques virulentes, notamment, contre Elon Musk et le réseau X.

Il a sans doute raison de ne pas aimer les fausses nouvelles et de vouloir éviter qu’elles soient disséminées. C’est vite dit, mais toute la question est de savoir ce qu’il faut entendre par “fausse nouvelle”.
Dans un Etat de droit, cela ne doit être le rôle, ni d’une administration ni d’un exploitant de plateforme, mais exclusivement du juge. Et cela ne peut être décidé qu’après publication. Et seulement après que la preuve ait été faite de la fausseté de la nouvelle en question.

Typhanie Afschrift

Avocate fiscaliste, professeure ordinaire à l’ULB

Ce n’est pas du tout ce système qui s’instaure en Europe. D’après les règles de l’UE, les plateformes ont la responsabilité de censurer, sous peine de sanctions. Et, concrètement, on ne les oblige évidemment pas à censurer ce que disent les gouvernements, alors qu’on ne doute pas qu’ils mentent souvent.

Si l’on oblige toutes les plateformes à censurer certaines nouvelles, il y a des informations vraies qui ne circuleront plus parce que les plateformes auront peur, dans l’ignorance de ce qui est vrai et de ce qui est faux, de prendre des risques.
Le résultat, c’est sans doute qu’on ne pourra plus écrire que ce qui plaît à ceux qui décident.

C’est la même chose pour la censure des opinions. La liberté d’expression est faite pour avoir le droit de dire des choses qui dérangent. Un Etat qui respecte la liberté d’expression ne peut empêcher que l’on critique les opinions d’autrui, qu’elles soient philosophiques, religieuses ou politiques.
C’est la raison pour laquelle, même si l’on trouve sur Telegram des points de vue que l’on peut objectivement considérer comme odieux, il vaut mieux les tolérer qu’empêcher la circulation des idées, de toutes les idées, sur internet.

Alors, bien sûr, on ne doute pas que le pouvoir français trouvera bien une solution pour poursuivre Pavel Durov, sans provoquer de manière frontale un débat sur la liberté d’expression. Pour un chef d’entreprise, quel qu’il soit, il y a toujours un texte, quelque part, qu’il a enfreint, dans une législation aussi touffue, pour accuser n’importe qui. Parce que l’on est arrivé à un système où tout le monde est coupable de quelque chose. Les gouvernants aiment beaucoup cela.