Marchés et souveraineté

Depuis toujours, les partis de gauche se plaignent du fait que les Etats ne seraient plus entièrement libres de prendre leurs décisions, parce que leur souveraineté serait réduite par les marchés. Dans un cas extrême, on a vu le gouvernement grec, pourtant très à gauche à l’époque, devoir se soumettre au remède administré par le FMI et notamment renoncer à une série de dépenses. On évoque moins souvent le succès de l’opération, qui, en quelques années, a permis à la Grèce de retrouver la croissance et à ses citoyens de se sortir du marasme de la politique collectiviste d’une bureaucratie inefficace.

On pourrait aussi dire qu’il est probable que, si la candidate Première ministre proposée par le Nouveau Front Populaire en France, Lucie Castets, songeait à effectivement appliquer le programme de cet ensemble disparate de partis, la France se retrouverait en état de faillite virtuelle.

Comme la ville de Paris, dont la même Lucie Castets est jusqu’ici directrice des finances. On hurlerait sans doute à une perte de souveraineté, mais elle résulterait tout simplement du fait que les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron ont accru considérablement une dette publique française largement excessive avant son premier mandat.

La perte de souveraineté résulte tout simplement du comportement des Etats : lorsqu’on emprunte, on est obligé de rembourser, et les créanciers ne prêtent plus lorsqu’ils estiment que l’on n’est plus capable de rembourser. C’est le même problème que pour les particuliers : lorsqu’ils sont surendettés, ils ne trouvent plus de crédit, et doivent faire face aux réalités.

Typhanie Afschrift

Avocate fiscaliste, professeure ordinaire à l’ULB

Nous avons, en Europe occidentale, une majorité de pays qui sont “drogués” à la dette : incapables de réduire leurs dépenses, en raison de leur “politique sociale” d’assistance, elle-même dictée par un besoin “d’acheter des voix”. Ces Etats disposent d’une marge de manœuvre de plus en plus ténue pour réaliser des réformes. Ils sont coincés entre les marchés, qui leur imposent la réalité financière, et leur “clientèle”, qui réclame sans cesse de nouveaux avantages. Ils peuvent toujours proclamer, comme Edith Cresson, la Première ministre française de François Mitterrand, “la Bourse, je n’en ai rien à cirer” ; ils seront vite confrontés au fait que, dans un Etat de droit, il faut rembourser ce qu’on a emprunté, souveraineté ou pas.

Au risque de déplaire à ceux qui se nourrissent de l’Etat, il faut peut-être même regretter que la souveraineté des Etats ne soit pas plus limitée qu’elle ne l’est. Elle ne devrait pas s’incliner seulement devant les exigences des marchés ou de l’Europe, mais surtout devant les droits des individus.

Le rôle des Etats devrait être simplement de garantir le respect des droits et de libertés de ceux-ci. Il n’y a rien qui justifie que, sous prétexte de “souveraineté”, ils accaparent, pour d’autres raisons, la propriété des citoyens, pour mener une politique en faveur de certains groupes que les partis au pouvoir veulent favoriser.

Comme première mesure, il faudrait imposer, au niveau constitutionnel, une limitation du pouvoir fiscal de l’Etat à l’égard de chaque citoyen, et en proportion du PIB, soit un “bouclier fiscal” individuel et collectif. Et, comme dans certains pays, limiter la capacité d’endettement des pouvoirs publics en leur imposant un “plafond de la dette”.

Plutôt que de perdre de la souveraineté envers les marchés, ils en perdront alors envers leurs citoyens, ce qui est quand même mieux.