On reproche fréquemment aux libertariens de défendre une idéologie toute théorique qui n’a jamais été appliquée nulle part. L’occasion est donnée actuellement à un libertarien de faire la preuve que cette doctrine est non seulement juste mais aussi efficace. On reconnaîtra toutefois que la partie est loin d’être gagnée pour lui. Aux dernières élections présidentielles argentines, Javier Milei a gagné très largement face à son adversaire péroniste. C’est une victoire des idées authentiquement libérales. Contrairement à ce que certains ont soutenu, ce n’est pas un candidat populiste, et encore moins un homme d’extrême droite. Il ne peut être comparé à Trump qui, dans la plupart des domaines, ne s’est jamais montré libéral au sens où nous l’entendons.

Milei veut réduire sensiblement l’importance de l’Etat, sabrer dans ses dépenses et réduire les impôts. Il veut supprimer de nombreux ministères et rendre à l’initiative privée la primauté. Ce sont là des idées libertariennes, même si l’on peut regretter que dans le domaine des mœurs et de la famille, Milei, souhaitant sans doute ménager l’électorat catholique argentin, n’est pas allé assez loin dans son programme.
Mais bien sûr, gagner l’élection ne suffit pas. Pour réussir, il faudra à Milei transformer complètement non seulement l’Etat mais l’organisation entière du pays. Il aura fort à faire. Ceux qu’il a vaincus, ce sont essentiellement les péronistes. Ce mouvement, appelé aussi parfois « justicialisme », est issu de la dictature du général Peron, ami du général espagnol Franco et clairement un homme de droite. Mais de cette doctrine parfois réputée proche du fascisme est née une branche gauchisante, qui a gouverné pendant l’essentiel des deux dernières décennies.

Toutes obédiences confondues, le péronisme a valu en Argentine un cuisant échec, un appauvrissement spectaculaire, qui a transformé un des pays les plus riches du monde en 1950 en un Etat à la limite du sous-développement. Un régime qui, dans certains domaines, n’est plus très loin de la catastrophe vénézuélienne avec un contrôle strict des importations et même – cas rare – des exportations, des impôts très lourds, un bureaucratie péroniste omniprésente et ennemie de l’entreprise privée, une inflation dépassant les 150 % par an, une classe moyenne décimée quand elle ne prend pas la fuite aux Etats-Unis, et des pauvres de plus en plus nombreux.

Cet échec total du péronisme a sans doute aidé Milei à gagner l’élection. Pour changer la société, il devra toutefois affronter ce même péronisme très militant qui contrôle une administration pléthorique et inefficace et tentera de freiner toute réforme. Il faudra aussi combattre des collectivités locales toutes acquises au péronisme, des syndicats parfois à la limite du système mafieux et qui peuvent se montrer violents, et tous les autres éléments de la nébuleuse péroniste, comme la ccimpora, qui en est parfois surnommée, de manière inquiétante, la « garde de fer ». A cela s’ajoute, au loin, un pape argentin qui n’a jamais caché ses sympathies pour un mouvement péroniste pourtant très matérialiste. Milei en fera un « combat pour la liberté » mais il a été élu seul. Et même au parlement, que le péronisme ne contrôle certes pas mais où il est puissant, Milei ne trouvera sans doute pas beaucoup d’alliés : l’on sait qu’entre corrompus et corrupteurs, la connivence est omniprésente et souvent une condition de survie. L’élection de Milei est encourageante mais ce n’est qu’un premier pas sur un terrain jonché de mines.