Selon la théorie de la rémunération, un dirigeant d’entreprise peut être rémunéré tant par de l’argent que par un avantage en nature (par exemple, la mise à disposition gratuite d’un logement) par le seul fait qu’il exerce des fonctions dirigeantes dans sa société.

Le dirigeant est taxé sur cet avantage de toute nature comme une rémunération sur base d’une évaluation forfaitaire prévue dans la loi et les frais liés à cet avantage sont, au titre de frais professionnels, déductibles dans le chef de la société.

Dans l’hypothèse de la mise à disposition gratuite d’un logement, il faut bien reconnaitre que l’administration fiscale et la jurisprudence sont très enclines à refuser d’admettre la déduction des frais liés à l’immeuble dans le chef de la société au motif que ces frais ne répondent pas aux conditions de déductibilité de l’article 49 du CIR, qui prévoit notamment que la dépense doit avoir été faite ou supportée en vue d’acquérir ou de conserver des revenus.

C’est précisément le respect de cette condition qui dérange l’administration fiscale en raison d’une différence souvent considérable entre le montant qui est taxé dans le chef du dirigeant d’entreprise et le montant qui est déduit par la société.

Par ailleurs, la Cour de cassation n’a pas hésité à ajouter une condition à la déductibilité des frais professionnels encourus par la société : la mise à disposition gratuite du logement doit constituer la contrepartie de prestations réellement accomplies par le dirigeant au profit de sa société.

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Gand du 5 septembre 2023, commenté ci-après, assouplit les règles de preuve quant aux conditions de déductibilité des frais supportés par une société en lien avec un immeuble qu’elle met gratuitement à la disposition de son dirigeant d’entreprise pour une occupation privée.

Dans le cas d’espèce, une société médicale, constituée par un unique administrateur et actionnaire, avait acquis la pleine propriété d’un immeuble bâti. La société mettait l’immeuble à la disposition de son dirigeant et de sa famille à des fins privées, à concurrence de 57,52 %. Les 42,48 % restants correspondent à l’affectation professionnelle. Un avantage de toute nature imposable a été déclaré pour la mise à disposition gratuite de la partie résidentielle.

L’administration fiscale a rejeté la déduction des frais dans le chef de la société dans la mesure où ils correspondent à la partie privée de l’immeuble.

La Cour d’appel de Gand donne tort à l’administration fiscale et estime que les coûts d’un bien immobilier (travaux, entretiens, amortissements), affecté en partie à des fins professionnelles et en partie à des fins privées, sont déductibles dans le chef de la société sur base de la théorie de la rémunération.

Selon la Cour, l’administrateur de la société est le seul à fournir des services médicaux à la société et c’est précisément ces services qui contribuent aux chiffres d’affaires constants de la société. En outre, la mise à disposition du logement gratuit a été parfaitement déclarée par la société et l’assemblée générale a approuvé ce mode de rémunération. Enfin, le dirigeant d’entreprise a été imposé sur cet avantage de toute nature via l’indication exacte et spontanée dans sa déclaration fiscale à l’impôt des personnes physiques.

Sur base de l’ensemble des considérations précédentes, la Cour est d’avis que la société prouve, par voie de présomptions, que cet avantage en nature faisait partie de la rémunération du dirigeant pour les services qu’il a rendus à la société.

La Cour d’appel de Gand répond notamment à certains arguments particuliers avancés par l’administration fiscale pour refuser la déduction des frais dans le chef de la société :

  • L’administration fiscale postulait que la moitié des dépenses n’était pas déductible puisque le bien était occupé par le conjoint de l’administrateur et par ses enfants. La Cour a estimé que la manière dont l’administrateur utilise l’avantage importe peu. Seul compte le fait que la fiche individuelle 281.20 soit établie au nom de l’administrateur et que l’avantage a été taxé dans son chef.
  • L’administration fiscale soulève également que la rémunération octroyée n’est pas justifiée par une augmentation du chiffre d’affaires de la société. La Cour balaie d’un revers de la main cet argument. L’administration fiscale n’a pas à interférer dans la politique de rémunération, ce faisant, elle se rend coupable d’une appréciation d’opportunité.

La portée de cet arrêt de la Cour d’appel de Gand, bien qu’appréciable, doit être relativisée compte tenu des circonstances de l’espèce. La société médicale n’était pas usufruitière et l’habitation était en partie professionnelle. Il a toutefois le mérite de souligner que l’administration fiscale n’est pas autorisée à juger de l’opportunité d’une dépense professionnelle.

 

Océane MAGOTTEAUX — Mahan SHOOSHTARI