- Par la loi-programme du 10 août 2015, le législateur fédéral a introduit dans le système fiscal une taxation applicable aux revenus recueillis par des « constructions juridiques». La particularité de cette taxe, dite « taxe Caïman », réside dans le fait que la charge fiscale repose sur le fondateur des constructions juridiques, même en l’absence de revenus distribués à celui-ci. Il existe donc une fiction qui permet d’agir comme si les revenus avaient directement été perçus par le fondateur.
Le régime fiscal de la taxe Caïman a fait l’objet de nombreuses précisions et modifications de nature législative et réglementaire.
- Afin de contourner l’application de ladite taxe, certains contribuables ont imaginé interposer une ou plusieurs structures intermédiaires entre eux et la construction juridique, l’intermédiaire ne tombant, quant à lui, pas dans le champ d’application de la taxe.
La loi-programme du 25 décembre 2017 avait élargi le champ d’application de la taxe Caïman, afin de neutraliser l’effet de cette double structure, et ce, en taxant de façon consolidée les revenus recueillis par la chaîne des constructions juridiques. Cependant, la taxe n’était effective que si l’on se trouvait face à une superposition de constructions juridiques.
En effet, l’administration fiscale ne peut taxer un contribuable qui détient indirectement une construction juridique, par l’intermédiaire d’une entité qui n’est pas qualifiée comme telle (sous réserve, bien entendu, de l’application de la disposition anti-abus contenue à l’article 334, § 1er du code des impôts sur les revenus).
Le principe est que les revenus recueillis par une chaîne de constructions soient tous imposés dans le chef du fondateur de la première construction-mère dans la chaîne (à savoir la construction qui détient totalement ou partiellement les actions, parts ou droits économiques d’une autre construction).
- Les constructions juridiques sont définies à l’article 2, § 1er, 13° du code des impôts sur les revenus.
Ne constituent pas des constructions juridiques, les entités juridiques établies à l’intérieur de l’Espace Economique Européen, sauf si elles sont mentionnées de façon expresse dans un arrêté royal. Le dernier arrêté royal en date du 21 novembre 2018 a établi des définitions générales des personnes morales visées.
En ce qui concerne les organismes de placements collectifs, l’application de la taxe Caïman est subordonnée à une double condition :
- il doit être question d’un fonds ou d’un compartiment dont les droits sont exclusivement détenus par une ou plusieurs personnes liées entre elles et ;
- il doit s’agir d’une construction juridique, à savoir toute entité possédant la personnalité juridique qui est soumise à un impôt sur les revenus inférieur à 15 % de son revenu imposable dans l’Etat d’établissement.
- Les constructions qui sont établies avec une activité économique effective dans la zone d’échange ne sont pas soumises à la taxe Caïman, à condition que les locaux, les équipements et le personnel de cette construction se rapportent à cette activité économique (article 5/1, § 3b du code des impôts sur les revenus).
Il est nécessaire que les revenus de la construction soient perçus principalement grâce à l’exercice d’une activité économique effective qui ne peut avoir pour but la gestion du patrimoine privé de son fondateur.
- Le 27 octobre 2023, le conseil des ministres a approuvé un avant-projet de loi-programme déposé par le gouvernement fédéral, modifiant notamment le régime fiscal de la taxe Caïman. Ce projet de loi répond à certaines lacunes qui avaient été mises en évidence par la Cour des comptes dans son rapport du 5 avril 2023.
Les modifications essentielles sont les suivantes :
- En ce qui concerne les « constructions en chaîne», ce terme étant remplacé par « constructions intermédiaires », afin de palier au système consistant à faire intervenir dans la chaîne une entité ne pouvant être qualifiée de construction juridique, la définition du terme « fondateur » est modifiée, de manière à englober « ceux qui détiennent directement ou indirectement via une construction intermédiaire les droits juridiques ou économiques des actions ou parts. ». L’utilisation du terme « constructions intermédiaires » viserait les chaînes de constructions juridiques dont toutes les entités ne sont pas des constructions juridiques en tant que telles.
- Limitation de l’application de l’article 21, § 2 du code des impôts sur les revenus qui prévoit l’exonération des revenus distribués par la construction juridique lorsque ces revenus perçus ont déjà subi leur régime fiscal en Belgique.
Ceci pourrait entraîner la taxation de revenus qui, à l’heure actuelle, selon la législation fiscale, ne seraient pas taxés.
- Introduction d’une condition supplémentaire pour les fonds dédiés afin qu’ils n’échappent à la taxe Caïman : une condition de participation minimale de 50 % pour les personnes non liées est introduite ainsi qu’un renversement de la charge de la preuve dans certaines situations. En effet, une présomption légale d’application de la taxe est établie dans le cas où le gestionnaire d’actifs du compartiment reçoit des instructions spécifiques de personnes détenant les droits de ce compartiment pour acheter ou vendre certains instruments financiers. Ceci vise à éviter les situations pratiques où il était fait appel à un « homme de paille» devenant actionnaire non lié d’un fonds.
- Introduction d’une exit tax lorsque le fondateur transfère son domicile fiscal à l’étranger.
- Introduction de précisions quant à la notion d’activité économique pour les constructions exclues de la taxe.
Il est notamment précisé que l’activité économique doit être substantielle, le critère de substance devant s’appliquer à l’activité principale et non à une partie de l’activité globale de la construction juridique. Il sera tenu compte du personnel, de l’équipement, des actifs et des bâtiments.
- Modification de l’article 5/1, § 1er du code des impôts sur les revenus pour préciser que les revenus obtenus par le biais de la construction juridique sont toujours imposés de manière transparente, même s’ils sont redistribués au cours de la même année civile.
Cette précision vise à mettre fin à des controverses quant au moment qui prévaut entre celui de l’attribution du revenu à la construction juridique (pour la question de la transparence) et le moment de la distribution par la construction juridique, au cours de la même année civile.
- Introduction d’une mesure anti-abus afin d’éviter qu’une construction juridique perde sa qualification pour procéder à une distribution après la période imposable pertinente. Il est en effet précisé que le régime fiscal de la taxe Caïman s’applique également aux distributions effectuées par des entités qui ont été qualifiées de constructions juridiques au cours d’au moins une des trois périodes imposables antérieures.
- Introduction d’une annexe spécifique à la déclaration à l’impôt sur les revenus dans laquelle serait mentionnée toutes les données qui doivent déjà être déclarées actuellement mais également les revenus obtenus par chaque construction juridique séparément, ainsi que les dividendes visés à l’article 18, alinéa 1er du code des impôts sur les revenus et ceux exonérés en application de l’article 21, 1er alinéa, 12° du code des impôts sur les revenus.
- Les modifications prévues ci-avant devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2024 ou à partir de l’exercice d’imposition 2024 selon les dispositions concernées. Elles doivent toutefois au préalable être soumises à l’avis initial du Conseil d’Etat.
Compte tenu des nombreuses questions que ces modifications soulèvent au regard notamment du principe de proportionnalité et d’égalité devant l’impôt, il est probable qu’elles fassent l’objet d’aménagements avant leur entrée en vigueur.
Angélique PUGLISI