Dans un arrêt rendu en mars dernier, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que le régime fiscal préférentiel flamand applicable aux sociétés familiales en matière d’impôt de succession est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

En l’espèce, il s’agissait d’une affaire dans laquelle un couple était propriétaire de la totalité des actions d’une société dont l’activité consistait à exploiter une boucherie. La société possédait en outre de nombreux biens immobiliers, certains d’entre eux étant utilisés pour la boucherie et d’autres mis en location à des tiers. Au décès du mari, l’épouse et le fils héritèrent des actions de la société et sollicitèrent l’application du taux réduit prévu pour les sociétés familiales.

L’administration fiscale flamande estima que les critères de la présomption légale d’absence d’activité économique réelle étaient remplis et partant, refusa d’appliquer le taux réduit prévu en faveur des sociétés familiales.

Pour rappel, en matière d’impôt de succession, la Région flamande prévoit, tout comme dans les autres Régions, un régime fiscal préférentiel applicable lors du transfert d’une entreprise familiale à cause de mort. Le taux appliqué en cas de transmission par héritage des actions d’une société familiale n’est que de 3 % en ligne directe. L’application de ce taux réduit n’est toutefois possible que si la société familiale exerce une activité économique réelle. Le Code flamand de la fiscalité présume qu’une société n’a aucune activité économique réelle lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • les terrains et bâtiments représentent plus de 50 % des actifs totaux ;
  • les rémunérations représentent un pourcentage égal ou inférieur à 1,5 % des actifs totaux.

Si les conditions de la présomption sont réunies, la loi prévoit que le contribuable peut fournir la preuve contraire de l’existence d’une activité économique réelle. Concrètement, l’administration fiscale flamande précise, dans une circulaire de 2015, que le contribuable doit démontrer que tous les biens présents dans la société sont utilisés pour l’activité économique de celle-ci. À l’inverse, si une société possède des biens immobiliers qu’elle met en location à des particuliers, la société ne pourra bénéficier du taux réduit, en l’absence de preuve de l’existence d’une activité économique réelle.

Le raisonnement des héritiers a été suivi par la Cour d’appel de Gand qui estima qu’il avait été démontré avec suffisance que la société exerçait une activité économique réelle. La Cour d’appel de Gand décida néanmoins de poser les trois questions préjudicielles suivantes à la Cour constitutionnelle.

Le régime fiscal particulier applicable aux sociétés de famille est-il constitutionnel au regard du principe d’égalité et de non-discrimination en ce qu’un taux réduit s’applique à la valeur totale des actions d’une société qui a une activité économique réelle et qui dispose également de biens immobiliers non affectés à l’activité économique alors que ces biens immobiliers ne bénéficient pas du taux réduit s’ils sont transmis :

  • par une personne physique (première question) ;
  • par une personne physique qui dispose d’une entreprise familiale non dotée de la personnalité juridique (deuxième question) ;
  • par une société de patrimoine pure qui n’exerce aucune activité économique réelle (troisième question) ?

La Cour constitutionnelle rappelle tout d’abord que le principe d’égalité et de non-discrimination n’empêche pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes si elle repose sur un critère objectif et qu’elle est raisonnablement justifiée.

In casu, la Cour conclut qu’il n’y a pas de violation du principe d’égalité et de non-discrimination dès lors que les différences de traitement reposent sur un critère objectif, c’est-à-dire l’apport de biens immobiliers à une société de famille qui dispose d’une activité économique réelle.

Une différence de traitement entre d’une part, les sociétés de famille qui exercent une activité économique réelle et d’autre part, les sociétés patrimoniales et les personnes physiques qui n’ont pas d’entreprise familiale peut être justifiée par la plus-value générée par les sociétés de famille qui ont une activité économique réelle.

En outre, la Cour considère que l’application d’un régime préférentiel à la valeur totale des actions de la société de famille n’est pas déraisonnable compte tenu du large pouvoir discrétionnaire dont le législateur dispose. En effet, contrairement à la transmission successorale d’une entreprise familiale, ce sont les actions qui sont transmises, et non les actifs envisagés séparément. Le législateur compétent n’était donc pas contraint d’exclure du bénéfice du taux réduit, la partie des actions relatives aux actifs qui ne participent pas à l’activité économique.

Enfin, la Cour rappelle que l’administration fiscale conserve toujours, sur base de la disposition anti-abus insérée dans le Code flamand de la fiscalité, la possibilité d’imposer la transmission par héritage des actions d’une société de famille au taux progressif normal si le fisc parvient à démontrer que les apports à la société ont été effectués artificiellement dans le seul but de bénéficier d’un avantage fiscal.

 

Océane MAGOTTEAUX – Mahan SHOOSHTARI