La Cour d’appel de Gand vient de confirmer l’inapplicabilité de la disposition anti abus fiscal à une réduction de capital réalisée en conformité avec le Code des sociétés.

On se souviendra que l’administration fiscale tente depuis plusieurs années de qualifier d’abusives les réductions de capital afin de lui permettre de taxer les opérations comme des distributions de dividendes.

La Cour d’appel de Gand vient de confirmer sa précédente jurisprudence en la matière, favorable au contribuable, en se fondant, d’une part, sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle déclarant l’article 344 constitutionnel, moyennant toutefois de strictes conditions d’application, et d’autre part, et c’est ici que réside la nouveauté, sur un arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 2021 décidant que l’article 18 du CIR ne permet pas de taxer les réductions de capital réalisées conformément au Code des sociétés.

La Cour de Gand rappelle que l’article 344, § 1er exige que l’opération contestée ait pour effet d’échapper à l’impôt, soit en bénéficiant d’un avantage fiscal, soit en sortant du champ d’application d’une disposition fiscale et que l’effet de l’opération ainsi décrite doit être contraire aux objectifs poursuivis par la disposition fiscale en question, et non seulement être étranger à de tels objectifs.

Le conflit de l’opération avec les objectifs de la disposition fiscale en question ne peut être prouvé par l’administration que si ces objectifs ressortent suffisamment clairement de la loi et, le cas échéant, des travaux parlementaires de la disposition fiscale applicable.

L’administration contestait en l’espèce la réduction de capital décidée par une assemblée générale extraordinaire de la société en janvier 2016. L’administration faisait valoir que cet acte juridique unique, qui a été prélevé sur les bénéfices de l’exercice (c’est-à-dire les dividendes perçus), avait été choisi afin d’éviter l’imposition d’une distribution ordinaire de dividendes (article 18, al. 1er, CIR 92) et qu’il n’aurait pas été dans l’intention du législateur d’accorder une exonération du précompte mobilier en vertu de l’article 18, al.1er, CIR 92 pour une telle réduction de capital.

L’article 18 CIR92 dispose en effet:

 » Les dividendes comprennent :

1° tous les avantages accordés par une société aux actions et parts sociales quelle que soit leur dénomination, à quelque titre et de quelque manière qu’elles soient obtenues ;

2° les remboursements totaux ou partiels du capital social, à l’exception des remboursements du capital libéré obtenus en exécution d’une décision régulière de réduire le capital social, conformément aux dispositions du Code des sociétés ; [...]« 

La Cour de Gand note que l’opération litigieuse a pour effet que le remboursement est exonéré de la retenue à la source alors qu’une distribution de dividendes est soumise à la retenue à la source.

La transaction litigieuse a donc permis à la société de se placer hors du champ d’application de l’article 18, premier alinéa, 1° CIR92 et de bénéficier d’un avantage fiscal en se plaçant dans le champ d’application de l’article 18, premier alinéa, 2° CIR92.

La question fondamentale qui se pose toutefois ensuite est de savoir si l’opération litigieuse est en contradiction avec les objectifs d’une disposition fiscale clairement identifiée.

Pour l’administration, l’intention du législateur dans l’article 18, premier alinéa, CIR92 était de taxer toutes les attributions faites par une société à ses actionnaires et l’objectif de l’article 18, premier alinéa, CIR92 était d’exonérer uniquement les remboursements de capital libéré effectués conformément au Code des sociétés.

Selon l’administration, le principe est donc que les produits sont imposables et que les remboursements ne le sont pas. Le législateur aurait  selon elle  voulu réserver l’exonération des réductions de capital aux seules réductions de capital qui n’ont pas été imputées sur (ou remplacées dans les fonds propres par) des bénéfices (c’est-à-dire aux seuls remboursements de capital libéré qui n’ont pas pour origine économique des bénéfices réalisés par la société).

Toutefois, cette prétendue intention du législateur n’est pas démontrée. Ces objectifs invoqués par l’administration ne figurent ni dans la loi, ni dans les travaux parlementaires de la disposition législative telle qu’elle était applicable.

Au contraire, l’article 18, premier alinéa, 2° CIR 92 prévoit une exception claire au principe inclus dans l’article 18, premier alinéa, 1° CIR 92.

L’administration ajoute donc une condition à l’article 18, premier alinéa, 2° CIR 92 en n’acceptant en franchise d’impôt que les remboursements qui n’ont pas été imputés sur les bénéfices (réservés) de l’exercice et qui ne proviennent pas économiquement de bénéfices réalisés.

La Cour souligne que rien n’indique qu’une telle analyse économique doive être effectuée préalablement à l’application de l’article 18, premier alinéa, 2° CIR 92 afin de vérifier s’il y a lieu ou non (compte tenu de l’importance de l’activité de la société) de réduire le capital effectivement libéré ou le capital social.

L’administration ne prouvant pas que l’opération en cause est contraire aux objectifs de l’article 18 CIR92, elle échoue dans sa charge de la preuve pour l’application de l’article 344, § 1er, CIR92. La Cour donne donc raison au contribuable.

Cet arrêt doit assurément être approuvé, en tant qu’il applique rigoureusement la mesure anti abus telle que validée par la Cour constitutionnelle, mais aussi en ce qu’elle souligne expressément que rien n’empêche un contribuable de choisir librement la voie la moins taxée.

Comme le disait Talleyrand, « si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant ».

 

Pascale HAUTFENNE

Cet arrêt doit assurément être approuvé, en tant qu’il applique rigoureusement la mesure anti abus telle que validée par la Cour constitutionnelle, mais aussi en ce qu’elle souligne expressément que rien n’empêche un contribuable de choisir librement la voie la moins taxée.

Comme le disait Talleyrand, « si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant ».