La directive européenne « DAC 6 » oblige les intermédiaires (avocats, banques, …) à déclarer certains dispositifs transfrontières qui présenteraient, au regard des critères qu’elle définit, un caractère potentiellement agressif en matière fiscale.

Les Etats membres disposent néanmoins de la possibilité de dispenser les avocats d’une telle obligation chaque fois que celle-ci serait incompatible avec le secret professionnel garanti dans le droit national. Dans ce cas, les avocats sont tenus de notifier à tout autre intermédiaire, ou à défaut au contribuable concerné, que l’obligation de déclaration auprès des autorités fiscales leur incombe.

Récemment, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne est intervenu à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour constitutionnelle saisie d’une demande en suspension et d’un recours en annulation contre un décret flamand, transposant en droit interne cette directive.

La question soumise à la Cour de justice portait sur la compatibilité de l’obligation pour les avocats, soumis au secret professionnel, de transmettre des informations à d’autres intermédiaires (qui ne sont pas le client), au regard de la Charte des droits fondamentaux. Comment l’avocat peut-il respecter son obligation de notification envers d’autres intermédiaires sans violer le secret professionnel ?

Dans cet arrêt récent du 8 décembre 2022, la Cour de justice rappelle d’abord que l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux reconnait la confidentialité de toute correspondance entre individus. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est l’équivalent de l’article 7 de la Charte, accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. C’est précisément parce que les avocats sont investis d’une mission fondamentale dans une société démocratique, c’est-à-dire la défense des justiciables, qu’ils bénéficient d’une protection renforcée du secret professionnel. Tout client doit avoir la possibilité de s’adresser à son avocat en toute liberté et s’attend à ce que leurs communications restent privées. Pour rappel, le secret professionnel de l’avocat couvre tant le contenu que l’existence même de la consultation juridique.

Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’obligation de notification pour les avocats lorsqu’ils invoquent leur secret professionnel constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients dans la mesure où :

  • ces intermédiaires prennent connaissance de l’identité de l’avocat et de sa position selon laquelle la planification en cause doit faire l’objet d’une déclaration ;
  • ces intermédiaires notifiés sont tenus de divulguer à l’administration fiscale compétente l’identité et la consultation de l’avocat.

Cette ingérence peut-elle être justifiée ? Selon la Cour, au regard du principe de proportionnalité, il faut que cette ingérence ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire et approprié pour répondre à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, en l’espèce la lutte contre la planification fiscale agressive et la prévention du risque d’évasion et de fraude fiscale. Or, la Cour constate que cette obligation de notification applicable à l’avocat soumis au secret professionnel n’est pas strictement nécessaire pour atteindre ces objectifs. En d’autres termes, il existe d’autres mesures moins contraignantes pour informer les autorités fiscales compétentes, et ce sans nuire au secret professionnel.

Ainsi, la directive DAC 6 prévoit que lorsqu’il existe plusieurs intermédiaires, les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires pour exiger que l’obligation de divulguer des informations repose sur l’ensemble des intermédiaires participant à la même planification. Dès lors, aucun intermédiaire ne peut soutenir qu’il méconnaissait les obligations de déclaration, auxquelles il est individuellement soumis. En outre, l’obligation de déclaration qui repose sur les intermédiaires non soumis au secret professionnel et, en l’absence de tels intermédiaires, celle reposant sur le contribuable concerné garantissent que les autorités fiscales compétentes soient informées des dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration. Rien n’empêche les autorités fiscales, après avoir reçu de telles informations, de demander des renseignements complémentaires au contribuable.

Au regard de ces considérations, la Cour conclut que l’obligation de notification imposée à l’avocat viole le droit au respect des communications entre l’avocat et le client, tel que consacré à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux.

Cet arrêt de la Cour de justice doit être salué car il constitue une très bonne nouvelle pour la protection du secret professionnel de l’avocat. Celui-ci ne devrait plus être tenu de communiquer des informations relatives à des dispositifs transfrontières à des personnes autres que son client.

Océane MAGOTTEAUX – Mahan SHOOSHTARI