C’est une belle décision de principe que le tribunal de première instance de Bruxelles vient de rendre.

L’Inspection Spéciale des Impôts, toujours avide de renseignements, et qui veut constamment accroître ses pouvoirs, avait demandé à Proximus les factures téléphoniques d’un dirigeant d’entreprise.

Elle soupçonnait celui-ci d’être faussement domicilié à l’étranger pour des raisons fiscales, et d’habiter en réalité en Belgique. Des factures détaillées d’un opérateur téléphonique permettent parfois de fonder certaines présomptions de résidence en Belgique en relevant les appels effectués depuis la Belgique, d’une part, et l’étranger, d’autre part. Il n’est pas nécessaire, pour cela, de disposer de précisions concernant les « bornes » activées lors des appels.

Avec un sens de la protection de la vie privée auquel il faut rendre hommage, Proximus avait refusé de déférer à la demande de l’ISI. Celle-ci lui infligea une amende pour défaut de réponse à une demande de renseignements, et Proximus, courageusement, introduisit un recours devant le tribunal de première instance.

C’est ce recours qui été déclaré fondé.

En principe, l’administration fiscale peut demander des renseignements à des tiers, normalement n’importe quel tiers, pour déterminer la situation fiscale d’un contribuable. Mais en l’espèce, les renseignements relevaient de la protection de la vie privée. Cette règle est une règle fondamentale, à laquelle la disposition, très générale, permettant de demander des renseignements, ne permet pas d’apporter une dérogation, en l’absence de précision. En gros, si la loi avait explicitement prévu l’obligation pour les opérateurs téléphoniques de répondre au fisc, il est possible que le tribunal aurait donné raison au fisc, quoique la protection de la vie privée dépende d’une norme supérieure, la Convention Européenne des Droits de l’Homme, mais est soumise à certaines restrictions.

En l’absence d’une disposition suffisamment précise, le tribunal a donc considéré que Proximus n’était pas tenue de répondre à la demande de renseignements du fisc.

Il ne s’agit que d’une décision de première instance, et elle est toujours susceptible d’appel.

Toutefois, il s’agit d’une décision encourageante. Elle a néanmoins certaines limites : elle ne joue évidemment pas lorsque la facture de téléphone est celle d’une société ou d’un travailleur qui entend en déduire le montant à titre de frais professionnels, et qui doit par conséquent lui-même la produire. Dans un tel cas, le fisc n’a même pas besoin de demander des renseignements à un opérateur téléphonique.

On peut espérer qu’une telle décision portera un coup d’arrêt aux tentatives multiples de l’administration d’ignorer la vie privée pour demander des renseignements de nature à enfreindre manifestement la protection de celle-ci. Ou au contraire, il faut craindre qu’un jour prochain notre ministre des Finances fasse voter une loi qui altère encore davantage la maigre protection dont bénéficient ceux qui veulent protéger leur vie privée.

 

T. AFSCHRIFT