- La loi du 2 juin 2021 portant des dispositions financières diverses relatives à la lutte contre la fraude vient d’être publiée au Moniteur belge du 18 juin 2021.
Selon l’Exposé des motifs du projet de loi, la loi vise à aménager et élargir le devoir de dénonciation des mécanismes fiscaux particuliers par les autorités de contrôle, dans les domaines bancaires et financiers, à savoir la FSMA et la BNB.
La loi met en œuvre un certain nombre de recommandations formulées par la commission spéciale « Fraude fiscale internationale/Panama Papers » ainsi que la commission d’enquête parlementaire chargée d’enquêter sur les causes de la faillite de la banque Optima et sur l’éventuelle confusion d’intérêts entre le groupe Optima et ses composants, d’une part, et des administrations publiques, d’autre part.
- Bien que la FSMA et la BNB ne connaissent pas des questions fiscales, elles disposent de la compétence de mettre en demeure certaines institutions financières de faire cesser des « mécanismes particuliers». A défaut de se conformer à une telle injonction, les autorités de contrôle peuvent imposer des mesures de redressement administratives.
Avant l’adoption de la loi du 2 juin 2021, la FSMA et la BNB étaient tenues de dénoncer aux autorités judiciaires des « mécanismes particuliers » ayant pour but ou pour effet de favoriser la fraude fiscale dans le chef de tiers, mis en place par une entreprise dont elles assurent le contrôle, lorsqu’elles ont connaissance du fait que ces « mécanismes particuliers » constituent dans le chef de ces entreprises mêmes, en tant qu’auteur, coauteur ou complice, une infraction fiscale passible de sanctions pénales.
Cette obligation de dénonciation aux autorités judiciaires ne pouvait s’appliquer que lorsque les faits étaient susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires à savoir dans des cas relevant du droit pénal, c’est-à-dire :
- soit lorsque l’entité financière elle-même commet en tant qu’auteur une infraction pénale en contrevenant à une législation fiscale (par exemple le non-respect de l’obligation de retenir un précompte mobilier) ;
- soit lorsque l’entité financière intervient en tant que co-auteur ou complice à la commission d’une fraude fiscale consommée par un tiers.
Il s’ensuivait qu’en l’absence de fraude fiscale consommée dans le chef du client, les autorités de contrôle disposaient uniquement de la compétence de faire cesser ce « mécanisme particulier » sur la base des dispositions qui régissent le statut de contrôle des institutions financières mais elles ne pouvaient pas le dénoncer aux autorités judiciaires.
- Dans le cadre des travaux des commissions précitées, certaines recommandations ont été formulées en vue d’assouplir les conditions d’application de cette obligation de dénonciation.
La loi du 2 juin 2021 vise à mettre en œuvre ces recommandations.
Ce faisant, la loi insère dans la législation sectorielle de contrôle des entités financières concernées une disposition légale visant à interdire expressément la mise en place de « mécanismes particuliers ».
A ce jour, les établissements de crédits, les entreprises d’assurance, les sociétés de bourse, les établissements de paiement et de monnaie électronique, les sociétés de gestion de portefeuille et de conseil en investissement, les OPC et les OPCA sont déjà soumis à l’interdiction de mettre en place un « mécanisme particulier ».
En effet, dans le chef de ces entités, cette interdiction résulte à tout le moins implicitement de la compétence des autorités de contrôle de faire cesser un « mécanisme particulier ».
La mesure proposée vise donc à consacrer formellement l’interdiction de mettre en place un « mécanisme particulier ».
La loi assortit également la mise en place d’un tel « mécanisme particulier », d’une sanction pénale.
La loi remplace enfin l’obligation de dénonciation existante par une obligation de dénonciation portant sur tous les cas de violation de l’interdiction de mettre en place un « mécanisme particulier ».
Comme suite aux recommandations de la commission spéciale « Fraude fiscale internationale/Panama Papers », l’obligation de dénonciation pourra donc désormais s’appliquer sans qu’il y ait lieu d’établir que le tiers a effectivement méconnu ses obligations fiscales, pour autant que ce mécanisme puisse avoir un tel effet ou un tel objectif.
Cela signifie que l’obligation de dénonciation s’applique en ce qui concerne les entreprises ou les personnes suivantes pour lesquelles l’autorité de contrôle est chargée de veiller au respect de l’interdiction de mettre en place un « mécanisme particulier » :
- en ce qui concerne la BNB : aux établissements de crédit, entreprises d’assurance, établissements de paiement et de monnaie électronique et les contreparties centrales, dépositaires centraux de titres, et organismes de support ;
- en ce qui concerne la FSMA : aux sociétés de gestion de portefeuille, de conseils en investissements, aux OPC ainsi que leurs sociétés de gestion, aux OPCA ainsi que leurs sociétés de gestion.
- La loi précise, enfin, ce qu’il y a lieu d’entendre par « mécanisme particulier». Il s’agit simplement d’une explicitation d’une notion connue de longue date en droit financier et dont les éléments constitutifs demeurent inchangés. Cette notion a en effet été insérée par une loi du 30 juin 1975 dans le statut des banques, des caisses d’épargne privées et de certains autres intermédiaires financiers.
Les éléments constitutifs de la notion de « mécanismes particuliers » sont les suivants :
- un procédé qui implique un ensemble de comportements ou d’omissions ;
Le procédé doit en effet avoir un caractère répétitif.
- un procédé qui a pour effet de rendre possible ou de favoriser la fraude fiscale par des tiers ;
- l’initiative doit procéder de l’entité financière elle-même ou impliquer de toute évidence la coopération active de l’entité financière ou encore procéder d’une négligence manifeste de l’entité financière ;
- le procédé doit présenter un caractère « particulier» c’est-à-dire dont l’entité financière sait ou devrait savoir que ces comportements s’écartent des normes et des usages normaux dans le secteur financier.
Le caractère « particulier » signifie que les opérations litigieuses dérogent aux usages courants dans le secteur bancaire et financier. Il s’agit donc d’opérations réalisées dans des conditions étrangères à la pratique normale et correcte des entités financières actives en Belgique. Il peut également s’agir d’opérations licites en soi mais dont l’objet normal est détourné à des fins fiscales.
Comme exemple du caractère « particulier », l’Exposé des motifs du projet de loi donne le cas d’un virement au départ de l’étranger ou vers l’étranger qui constitue une opération bancaire normale mais qui devient particulière si elle est artificiellement transformée par usage de comptes techniques internes de transit, afin d’en cacher la véritable nature.
La notion de « mécanisme particulier » avait déjà été précisée dans une circulaire de l’ancienne Commission bancaire et financière ainsi que dans une communication de l’ancien Office de contrôle des Assurances.
Cette circulaire et cette communication contiennent une liste non exhaustive des pratiques qui sont considérées par les autorités de contrôle comme des « mécanismes particuliers ». Il est prévu d’adopter une nouvelle circulaire qui actualise la liste actuelle non limitative de « mécanismes particuliers » à la lumière de nouveaux développements.
- En résumé, même si la loi du 2 juin 2021 élargit le devoir de dénonciation de la FSMA et de la BNB aux autorités judiciaires en visant les cas dans lesquels les institutions financières soumises à leur contrôle ont mis en place un « mécanisme particulier» ayant pour effet de favoriser la fraude fiscale commise par un client, même si l’infraction fiscale n’a pas (encore) été commise, elle n’interdit pas ni ne sanctionne la mise en place de procédés visant à éviter légalement l’impôt. La loi n’érige pas non plus en « mécanisme particulier » le fait pour les institutions financières de conseiller à leurs clients un procédé visant à leur permettre d’éviter en toute légalité un impôt. A fortiori, la loi n’érige pas en obligation la dénonciation de ces conseils aux autorités pénales par la FSMA ou la BNB.
Angélique PUGLISI