Le Service des Décisions Anticipées en Matière Fiscale a publié il y a quelques jours son rapport annuel relatif à l’année 2020.

Ce rapport contient un constat intéressant en relation avec l’application de la « taxe caïman ». Ce constat est plus particulièrement relatif au second « volet », souvent oublié, prévu par la législation « taxe caïman », celui de la « taxe de distribution ».

En effet, à côté de la « taxation par transparence » qu’elle organise, la législation « taxe caïman » prévoit également une « taxe de distribution », qui s’applique à toutes les distributions de toute « construction juridique », qu’il s’agisse d’un trust ou d’une entité personnifiée par exemple. Celle-ci qualifie au titre de « dividende » telle distribution (taux distinct applicable : 30%).

Tous les revenus qui ne sont pas imposés par la taxe de transparence (à présent uniquement applicable au « fondateur ») et qui sont, d’une façon ou d’une autre (ce qui excède la simple hypothèse de la liquidation, partielle ou totale, de la « construction juridique ») distribués par une « construction juridique » aux « fondateurs » ou à d’autres habitants du Royaume (ou à des personnes morales soumises à l’impôt des personnes morales) sont considérés comme des « dividendes » et taxés en tant que tels, à l’exception de l’actif apporté à la construction juridique. La disposition est contenue sous article 18, al. 1er, 3°, CIR92.

Cette distribution est imposable dans la mesure où elle porte sur les réserves accumulées par la « construction juridique », au-delà des sommes y ayant été « apportées » par le « fondateur » (sous réserve de ce que ces réserves auraient déjà été soumise à la taxe de transparence).

La taxation au titre de dividende est applicable, sauf si le contribuable qui bénéficie de la distribution, établit que celle-ci entraîne une diminution du patrimoine de la « construction juridique » jusqu’à un montant inférieur au patrimoine apporté par le « fondateur ».  Autrement dit, la taxation au titre de dividende ne s’applique que dans la mesure où la distribution porte sur l’accroissement de ce patrimoine.

Il faut toutefois tenir compte du fait que la distribution du patrimoine apporté (par le « fondateur »), bénéficiant à un « bénéficiaire » (qui n’est pas obligatoirement le « fondateur ») n’est censée avoir lieu qu’après la distribution de tous les bénéfices et revenus réservés.   Dans la mesure où les bénéfices réservés, censés distribués en premier lieu, avant toute restitution (non imposable) du patrimoine apporté, sont constitués de montants qui n’auraient par hypothèse jamais été imposés par application de la « taxe caïman » (par exemple, des réserves accumulées avant le 1er janvier 2015), ils constitueront des « dividendes »,et seront imposables à ce titre dans le chef du bénéficiaire.

L’on peut envisager l’hypothèse d’une « construction juridique » constituée avant l’entrée en vigueur de la « taxe caïman », et qui avait accumulé, au 31 décembre 2014, 1.000.000 EUR de réserves. Si au cours de l’année 2021, la « construction juridique » bénéficie de revenus imposables à concurrence de 100.000 EUR, son « fondateur » sera redevable d’un impôt de 30.000 EUR (s’agissant par hypothèse de revenus mobiliers imposables au taux distinct de 30 %). Ceci que les revenus perçus soient ou non distribués au « fondateur ». Si la « construction juridique » décide en outre d’attribuer, au cours de cette même année 2021, le revenu de 100.000 EUR à son « fondateur », devenu « bénéficiaire », il ne sera pas permis de prévoir l’imputation prioritaire de cette distribution sur les revenus déjà imposés de l’année, puisque le texte légal présume que les 10.000 EUR distribués s’imputent par priorité sur les réserves accumulées de 1.000.000 EUR. Outre l’imposition applicable aux revenus de l’année, le « fondateur » se verra imposé sur un « dividende » de distribution, de 100.000 EUR (également imposable au taux distinct de 30%). Cela conduit le « fondateur » à devoir assumer un impôt de 60.000 EUR à verser pour 2021, alors que la « construction juridique » n’aura perçu qu’un revenu de 100.000 EUR…

Il appartient, le cas échéant, au contribuable de prouver l’importance du patrimoine apporté initialement lorsqu’il en sollicite l’exonération. Il n’est plus fait référence à cet égard à l’exigence que le patrimoine apporté ait subi son régime d’imposition, en Belgique ou ailleurs…

Venons-en à l’objet précis du constat formulée par le Service des Décisions Anticipées en Matière Fiscale.

Dans la mesure où la distribution de liquidation, imposable dans le chef de celui qui la reçoit, peut englober des revenus perçus précédemment par la « construction juridique », qui auront été imposés, depuis 2015, dans le chef du « fondateur », par l’effet de la transparence fiscale, il peut s’en induire une double imposition. Cette double taxation peut viser la même personne, si le bénéficiaire de la distribution est également « fondateur », ou peut intervenir dans le chef de personnes différentes, si le bénéficiaire est un tiers.

Le législateur a souhaité éviter telle double imposition, en insérant une cause d’exonération dans l’article 21, al. 1er, 12°, CIR92.

Le dividende peut ainsi être exonéré dans le chef du bénéficiaire de la distribution, dans la mesure où il est démontré que ce dividende est constitué de revenus de la construction juridique qui ont déjà subi la « taxe caïman ». Peu importe dans le chef de quelle personne cette imposition ait été appliquée.  Le texte légal n’exige en effet plus, comme il le faisait auparavant, que le bénéficiaire de la distribution apporte la preuve que la taxation a déjà été appliquée, précédemment, dans son propre chef. La charge de la preuve de cette soumission préalable à la « taxe caïman » repose bien entendu sur le bénéficiaire qui s’en prévaut.

Ayant à traiter d’une demande visant la situation d’une soparfi de droit luxembourgeois, le Service des Décisions Anticipées en Matière Fiscale a constaté que cette disposition pouvait ne pas « couvrir », dans les faits, toutes les hypothèses de double imposition, alors que sa vocation était pourtant bien celle-là.  Dans l’un de ses « prefilings », le service a constaté que le dispositif de l’article 21, al. 1er, 12°, CIR92 n’écarte pas toujours une double imposition dans le chef du « fondateur ».

Nous avons déjà abordé précédemment la question de la qualification d’une soparfi de droit luxembourgeois pour l’application du régime dit « taxe caïman ».

La notion de « construction juridique » recouvre 3 catégories distinctes (art. 2, §1er, 13°, CIR92). Parmi celles-ci, l’on trouve les entités étrangères dotées de la personnalité juridiques tout en étant insuffisamment imposées selon l’appréciation qu’en donnent les autorités belges. Cette catégorie de « constructions juridiques » a été considérablement élargie, à l’effet de 2 arrêtés royaux des 21 novembre 2018 (pour les entités de l’Espace Economique Européen) et 6 mai 2019 (pour les entités hors de l’Espace Economique Européen). Sont ainsi potentiellement visées des entités également soumises à l’imposition dans l’Etat de leur siège ou principal établissement, mais dont le « fondateur » ne parviendrait pas à établir qu’elles assument un impôt « suffisant » pour échapper à la « taxe caïman ».  L’on citera, au titre d’exemple le plus frappant de ces entités nouvellement incluses dans le champ de la « taxe caïman », la « soparfi » de droit luxembourgeois.

Il peut être fait exception à la qualification au titre de « construction juridique » pour les « entités personnifiées », en démontrant que celle-ci assume un impôt sur son revenu jugé « suffisant ». Pour ce qui concerne la soparfi de droit luxembourgeois, son fondateur devra pour ce faire apporter la preuve que cette société subi, dans l’Etat de son siège fiscal, une imposition s’élevant à au minimum 1% de la « base imposable belge » fictive attribuée à cette même entité si elle avait été une société résidente de la Belgique (par l’effet d’une fiction).

Dès lors, en fonction du montant du revenu imposable de la soparfi ainsi déterminé conformément aux règles belges, l’attribution de la qualité de « construction juridique » peut varier d’une période imposable à l’autre. Or, l’exonération prévue à l’article 21, al. 1er, 12°, CIR92 ne vaut que pour les revenus attribués ou mis en paiement par une « construction juridique ».

Le Service des Décisions Anticipées en Matière Fiscale relève en conséquence que si, durant la période pour laquelle la soparfi ne qualifierait plus (par hypothèse) au titre de « construction juridique », elle attribue ou met en paiement des revenus qu’elle a perçus durant une période antérieure pour laquelle elle était qualifiée de « construction juridique », l’exonération prévue à l’article 21, al. 1er, 12°, CIR92 ne s’applique pas et les revenus en question, qui pourraient avoir déjà été imposés par transparence dans le chef d’une personne physique/fondateur, sont alors susceptibles d’être soumis à une double imposition, permise par la législation.

Ce constat, dont il faut constater qu’il est formulé en conformité avec la législation applicable, doit conduire les contribuables potentiellement concernés à s’interroger, bien en amont d’une distribution envisagée (le cas échéant plusieurs années au préalable) sur le régime fiscal qui leur sera applicable, au moment de l’événement imposable. Il est évident que toutes les décisions prises au cours des années précédentes peuvent avoir une incidence sur ce régime fiscal. Tel « audit » est selon nous d’autant plus essentiel que le législateur soumet à la « taxe de distribution » non seulement les distributions sensu stricto, mais également une série d’hypothèses qu’il a estimé pouvoir y assimiler (notamment, le transfert des actifs d’une « construction juridique » vers un autre Etat, non coopératif, ou certains cas d’apport « des droits économiques, des actions ou parts ou des actifs » d’une « construction juridique »).

MELANIE DAUBE