1- Le 4 octobre 2017, la Commission européenne adopta une décision (UE 2018/859) par laquelle elle considéra qu’une décision fiscale anticipée (« tax ruling») de l’administration fiscale luxembourgeoise en faveur d’Amazon constituait une aide d’Etat.

La décision fiscale anticipée en cause avait validé une méthode de fixation des prix de transfert permettant à une société luxembourgeoise du groupe Amazon de déterminer sa dette d’impôt sur le revenu des sociétés au Luxembourg de 2006 à 2014.

En conséquence de sa décision, la Commission européenne ordonna la récupération des sommes qui n’auraient pas été collectées par le Grand-Duché du Luxembourg auprès de la société luxembourgeoise au titre de l’impôt sur le revenu des sociétés, soit un montant de 250 millions d’euros.

Amazon introduisit un recours contre la décision de la Commission européenne devant le Tribunal de l’Union européenne. Ce 12 mai 2021, le Tribunal de l’Union européenne a prononcé l’annulation de la décision de la Commission européenne.

2- Quels sont les motifs qui ont conduit le Tribunal de l’Union européenne à annuler la décision de la Commission européenne ?

Pour les comprendre, il faut revenir sur les circonstances qui ont amené la Commission européenne à rendre sa décision.

Dans l’affaire soumise à l’appréciation de la Commission européenne, un accord de licence portant sur des actifs incorporels (technologie, données de clients, marques) avait été conclu entre une société LUX SCS et une société LUX OPCO.

En vertu de celui-ci, LUX OPCO avait obtenu le droit d’utiliser les actifs incorporels appartenant à LUX SCS, en échange du paiement d’une redevance. Le taux de la redevance avait été calculé sur base d’un rapport de prix de transfert.

La décision fiscale anticipée luxembourgeoise en cause avait confirmé que la méthode de fixation des prix de transfert utilisée en l’espèce, était conforme au principe de pleine concurrence.

Pour la Commission européenne, cette décision fiscale anticipée conférait toutefois un avantage qualifié d’aide d’Etat à LUX OPCO. La méthode de fixation des prix de transfert avalisée dans la décision fiscale anticipée produisait, selon la Commission,  un résultat qui s’écartait d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché, ce qui avait eu pour effet de réduire la base imposable de LUX OPCO aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu des sociétés.

Pour la Commission européenne, LUX SCS n’exerçait, en effet, pas de fonctions « uniques et de valeur » en rapport avec les actifs incorporels pour lesquels elle ne détenait que le titre de propriété légale.

En revanche, LUX OPCO devait être l’entité ayant droit aux revenus de la propriété intellectuelle et LUX SCS avait uniquement le droit de récupérer ses coûts d’exploitation limités ainsi que le coût de développement de ses actifs incorporels.

En outre, à supposer même que l’administration fiscale luxembourgeoise ait eu raison d’accepter l’analyse des fonctions de LUX SCS effectuée dans le rapport sur le prix de transfert utilisé, la méthode de fixation des prix de transfert approuvée par la décision fiscale anticipée en cause était inappropriée. La méthode qui aurait dû être utilisée est celle basée sur la méthode transactionnelle de la marge nette.

Enfin, la partie à tester en vertu de cette méthode aurait dû être LUX SCS et non  LUX OPCO

3- Dans sa décision du 12 mai 2021, le Tribunal de l’Union européenne n’a pas avalisé ce raisonnement. Il considère en effet que la Commission européenne n’est pas parvenue à établir l’existence d’un avantage.

Quant aux lignes directrices de l’OCDE utilisées par la Commission européenne, le Tribunal considère que la Commission ne pouvait utiliser que celles résultant de leur version de 1995, la décision fiscale anticipée datant de 2003. Les versions de 2010 et 2010, utilisées par la Commission européenne, n’étaient pas pertinentes.

En ce qui concerne l’analyse fonctionnelle, le Tribunal se fonde sur les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 pour considérer qu’il ne peut être reproché aux autorités fiscales luxembourgeoises d’avoir estimé qu’il était correct de choisir une entité autre que LUX SCS comme étant la partie à tester. En ce qui concerne les fonctions de LUX SCS, c’est à tort que la Commission européenne  a dépeint celle-ci comme un simple détenteur passif de biens incorporels.

Enfin, le calcul de la redevance de LUX SCS opéré par la Commission, est entaché de nombreuses erreurs et ne saurait être considéré comme étant suffisamment fiable. Dans la mesure où, également, la méthode de calcul retenue par la Commission doit être écartée, cette méthode ne saurait fonder le constat de la Commission selon lequel la redevance payée par LUX OPCO à LUX SCS aurait dû être inférieure à celle effectivement perçue.

En conclusion, selon le Tribunal, la Commission n’a pas démontré l’existence d’un avantage.

4- La résolution des questions juridiques en matière de prix de transfert et d’aides d’Etat dépend essentiellement des faits de l’espèce. Il peut toutefois, être retenu de la décision de ce 12 mai du Tribunal de l’Union européenne, d’une part, que les principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert ne peuvent être appliqués de manière rétroactive et d’autre part, que de simples erreurs méthodologique commises dans l’analyse des prix de transfert ne peuvent suffire à conclure qu’un avantage qualifiable d’aide d’Etat a été octroyé.

5- La décision du Tribunal n’est pas définitive car la Commission européenne peut introduire un recours devant la Cour de justice. Celui-ci ne pourra toutefois porter uniquement que sur des questions de droit, et non sur le fond du dossier. En attendant cet arrêt, la décision du Tribunal pourrait influencer les décisions que la Commission européenne doit encore prendre dans des affaires similaires en cours (NIKE et INTER IKEA) qui sont encore au stade de l’enquête formelle sur les aides d’Etat menée par la Commission européenne.

 

Angélique PUGLISI