Nous avons souvent abordé, par le passé, la question de l’application de la « taxe caïman » aux revenus et distributions d’un trust. Cette « taxe » relève de l’impôt des personnes physiques. Ce n’est pas de cela dont il sera cette fois question, mais bien de l’application, à une situation dans laquelle un contribuable belge a affecté une partie de son patrimoine à un trust, de l’impôt de succession.
La caractéristique fondamentale du trust est de permettre la division du droit de propriété, en séparant la gestion et le contrôle des biens affectés au trust (attribués au trustee) de la jouissance des profits procurés par ces mêmes biens (attribuée aux bénéficiaires).
Le droit belge contient une définition de cette figure juridique, sous l’article 122 du Code de droit international privé. Le trust y est défini comme étant « une relation juridique créée par un acte du fondateur ou par une décision judiciaire, par lequel des biens sont placés sous le contrôle d’un trustee afin de les administrer dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé ». En dépit de l’existence de cette définition légale, le droit belge ne reconnaît pas le trust au titre d’ « entité » juridique distincte. Le trust n’est pas une société; Il s’agit d’un patrimoine d’affectation, distinct de celui du settlor, de celui du trustee et enfin, de celui des bénéficiaires. Le trust n’a pas de personnalité juridique.
Le trust consiste en un engagement unilatéral de volonté du constituant (settlor), de transférer des biens au trustee. Le transfert des biens rend effective la volonté du settlor de constituer un trust. Le trust peut porter sur des biens meubles et immeubles, des droits corporels ou incorporels. Dès le transfert des biens au trustee, le settlor n’est plus propriétaire de ces biens.
L’impôt de succession est du sur tout ce qui est recueilli dans la succession d’un habitant du royaume. Ces droits sont dus sans distinguer selon qu’ils sont transmis ensuite de dévolution légale, de disposition testamentaire ou d’institution contractuelle. Les biens mis en trust sont bien sortis du patrimoine du settlor et ne se retrouvent donc pas dans sa succession, au moment de son décès. Il existe cependant, dans le Code flamand de la fiscalité, des dispositions qui soumettent expressément aux droits de succession des hypothèses de fait qui, à défaut de telles dispositions, n’y seraient pas soumises. L’on parle ainsi de fictions.
Se pose dès lors la question de la qualification de l’affectation du patrimoine au trust. S’agit-il d’une donation, qui si elle est effectuée dans les 4 années qui précédent le décès sans être soumise à l’impôt de donation, sera réintégrée dans la base imposable à l’impôt de succession (Code flamand de la fiscalité, art. 2.7.1.0.5.), ou d’une stipulation pour autrui, qui, par l’effet d’une autre fiction, sera soumise aux droits de succession (Code flamand de la fiscalité, art. 2.7.1.0.6. et 2.7.3.2.8.) ?
L’article 2.7.1.0.5. du Code flamand de la fiscalité semble pouvoir être appliqué au trust dans la mesure où l’acte constitutif du trust est bien « un acte de disposition à titre gratuit ». En effet, le transfert du patrimoine au trustee s’effectue sans contrepartie. Toutefois, le trust ne qualifie pas au titre de libéralité. Une « libéralité » peut être définie comme l’acte de disposition d’un bien à titre gratuit. Les éléments constitutifs de la libéralité sont l’appauvrissement du disposant sans contrepartie, l’enrichissement corrélatif du bénéficiaire et l’intention libérale. Si la première condition est remplie, la deuxième ne semble pas l’être, et la troisième pas systématiquement.
En effet, ni le trustee, ni le bénéficiaire n’obtiennent un « enrichissement corrélatif » à « l’appauvrissement » du settlor. Le patrimoine d’affectation n’entre ni dans le patrimoine du trustee, ni dans celui du bénéficiaire au moment de l’appauvrissement du settlor. Dans l’hypothèse d’un trust discrétionnaire, le bénéficiaire ne dispose par ailleurs d’aucun droit de créance à l’encontre du trustee. Dans l’hypothèse d’un fixed interest trust, au contraire, le bénéficiaire dispose d’un tel droit de créance, mais l’on ne peut affirmer que la valeur de ce droit serait nécessairement « corrélative » à l’appauvrissement du settlor. Tel est certainement le cas en présence de plusieurs bénéficiaires… ou encore lorsqu’il est prévu que les droits des bénéficiaires ne portent que sur les revenus du patrimoine d’affectation, et non le capital en tant que tel. Quant à l’intention libérale, elle n’est pas systématiquement présente lors du transfert d’un patrimoine à un trust. D’autres objectifs peuvent en effet guider le settlor dans sa démarche, tels la protection de son patrimoine contre des créanciers, ou le maintien de l’unité de son patrimoine personnel…
Le trust ne semble en conséquence pas répondre à la définition de la « donation » et l’on croyait pouvoir de ce fait contester l’application de l’article 2.7.1.0.5. du Code flamand de la fiscalité aux affectations effectuées moins de 3 (aujourd’hui 4) années avant le décès. Une décision anticipée du 29 novembre 2011 précise toutefois que la même fiction sera d’application en présence d’apports à une fondation privée, situation assimilable à celle d’un trust. Les biens mis en trust moins de 4 ans avant le décès du settlor pourront donc être considérés comme faisant toujours partie de sa succession.
En vertu des articles 2.7.1.0.6. et 2.7.3.2.8. du Code flamand de la fiscalité, sont considérées comme recueillies à titre de legs les sommes, rentes ou valeurs qu’une personne est appelée à recevoir à titre gratuit au décès du défunt en vertu d’un contrat renfermant une stipulation à son profit par le défunt ou par un tiers. Sont de mêmes considérées comme recueillies à titre de legs les sommes, rentes ou valeurs qu’une personne a été appelée à recevoir à titre gratuit dans les trois ans précédant le décès du défunt ou qu’elle est appelée à recevoir à titre gratuit à une date postérieure au décès, en vertu d’une stipulation faite à son profit dans un contrat conclu par le défunt.
Cette disposition suppose l’existence d’une stipulation pour autrui. Il y a stipulation pour autrui lorsqu’une personne (le promettant), s’engage envers une autre personne (le stipulant) à accomplir telle prestation ou à transmettre telle chose en faveur d’une tierce personne juridiquement étrangère à l’opération, dont l’acceptation n’est pas requise et qui peut exercer son droit directement contre le promettant. La stipulation suppose donc que l’enrichissement du bénéficiaire résulte d’un engagement pris par le cocontractant. Cette stipulation doit être stipulée exigible au décès du défunt ou dans les trois ans précédant ce décès, ou à une date postérieure au décès.
Les praticiens soutiennent, fort logiquement, que la fiction contenue aux articles 2.7.1.0.6. et 2.7.3.2.8. du Code flamand de la fiscalité n’est pas applicable au trust, principalement au motif que le bénéficiaire ne détient pas ses droits du défunt en vertu d’une stipulation pour autrui. Les droits du bénéficiaire résultent en effet directement de l’acte constitutif de trust. Le transfert des biens du settlor vers le trust a pour effet de faire sortir ces biens de son patrimoine, de sorte que les bénéficiaires reçoivent du trust, et non du défunt. Par ailleurs, les bénéficiaires ne détiennent aucun droit de créance sur le trustee et sur le patrimoine d’affectation, au décès du settlor. Seul le trustee peut décider d’une distribution, ensuite de ce décès. Tel est certainement le cas en présence d’un trust discrétionnaire. La situation paraît plus délicate dans le cas d’un fixed interest trust. Mais même dans cette dernière hypothèse, le trust ne réalise aucun contrat, pour autant que le settlor se soit effectivement dessaisi du patrimoine de manière effective et irrévocable.
Le Service des Décisions Anticipées a pris position sur cette question, dans une décision du 29 novembre 2011. Cette décision, rendue en matière de fondation privée, précise que la fiction en matière de stipulation pour autrui est « hors de cause », à défaut de « contrat » puisque les bénéficiaires d’une fondation privée tirent leurs droits d’un « acte juridique unilatéral » et non d’un contrat. En outre, cet article 8 instaure une fiction et doit être interprété restrictivement. Cette position, confirmée par une seconde décision anticipée du 13 mai 2015, doit pouvoir être appliquée au trust, puisqu’il s’agit non d’un contrat, mais bien d’un engagement pris par le constituant seul d’affecter en trust tout ou partie de ses biens.
Telle n’est toutefois pas la position adoptée par Vlabel en la matière. Dans ses positions n° 15033 du 2 mars 2015 et 15076 du 26 mai 2015, le Service flamand de la fiscalité a précisé que la fiction relative aux stipulations pour autrui s’applique au trust. En présence d’un trust discrétionnaire, les distributions seront imposables au moment où elles sont effectuées. En présence d’un fixed interest trust, le patrimoine d’affectation dédié aux bénéficiaires (droits de créance) sera imposable dès le décès du settlor.
Face à cette potentielle soumission des trust, du patrimoine qui y est affecté, ou de leurs distributions, à l’impôt de succession, Vlabel propose aujourd’hui une solution: celle de la soumission de la stipulation à l’enregistrement, et à l’impôt de donation. Dans certaines hypothèses, il sera désormais possible de présenter à l’enregistrement le trust deed mentionnant la valeur des biens transférés au trust, accompagné d’un document identifiant les bénéficiaires désignés, et faisant état de leur acceptation et de l’étendue des sommes concernées (à supposer: au moment de la distribution). Vlabel considérera qu’il s’agit de l’enregistrement d’une stipulation pour autrui, et percevra l’impôt de donation, en appliquant le tarif des donations mobilières sur base de la relation entre le settlor initial et les bénéficiaires concernés. La position de Vlabel vise un trust auquel sont affectées des valeurs mobilières. Aussi, les tarifs réduits de l’impôt de donation, de 3% ou de 7%, seront applicables, et la fiction contenue à l’article 2.7.1.0.6. du Code flamand de la fiscalité ne trouvera pas à s’appliquer.
Cette position, qui fut communiquée (mais non publiée) par Vlabel en réponse à une question interprétative qui lui était soumise, ne confère toutefois de garantie qu’en ce qui concerne la fiction applicable aux stipulations pour autrui. Par précaution, le contribuable intéressé fera confirmer par Vlabel que la solution préconisée, outre qu’elle peut être appliquée en d’autres situations particulières, permet également d’éviter l’application de la fiction liée au décès rapide du settlor…
Jonathan CHAZKAL.