Les contrats d’assurance-vie sont des outils de planification patrimoniale intéressants qui permettent une multitude de combinaisons possibles. Sont envisageables, des contrats d’assurance-vie pure (seul, le risque du décès de la tête assurée est couvert) ou des contrats mixtes (sont couverts le risque vie et le risque décès de la tête assurée).
Le traitement fiscal réservé à ces contrats dépendra en premier lieu de l’analyse civile desdits contrats telle qu’elle résulte de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances et du régime matrimonial éventuellement applicable aux parties impliquées. Ensuite, certaines fictions instituées par le Code des droits de succession peuvent s’appliquer et aboutir à la conclusion que ces contrats renferment un legs fictif imposable aux droits de succession. Les fictions légales instituées par le Code sont dérogatoires et donc d’interprétation stricte.
Sous le couvert de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les assurances (en 2014…) et du nouveau droit des régimes matrimoniaux (en vigueur depuis le 01/01/2018…), l’administration fiscale a émis en début d’année une nouvelle circulaire pour préciser les contours de la taxation applicable aux contrats d’assurance-vie souscrits par des personnes mariées sous le régime de la communauté de biens mais également par des personnes mariées sous le régime de la séparation de biens ou des personnes non mariées (circulaire de l’AG Documentation patrimoniale 2021/C/2 du 7 janvier 2021 relative à l’art. 8 du Code des droits de succession et à la taxation applicable selon divers types de contrats d’assurance-vie). Cette nouvelle circulaire vient remplacer, avec effet au 01/09/2018 (!), une circulaire de 2006, avec une nouvelle approche méthodologique. Elle concerne les résidents de la Région de Bruxelles-Capitale et de la Région Wallonne.
Si l’objectif est louable, la lecture de cette circulaire fait apparaître que la nouvelle méthodologie vise surtout à combattre l’absence de fiscalité qui s’applique, pourtant en toute légalité, à certaines situations issues des contrats d’assurance-vie. A ce propos, il faut relever que l’absence de fiscalité a été validée à de nombreuses reprises par des décisions du Service des Décisions Anticipées (SDA), décisions que le nouveau droit des régimes matrimoniaux entré en vigueur le 01/01/2018 ne vient aucunement invalider.
Quelques exemples parmi les situations visées par la circulaire permettent d’appréhender les nouvelles bases que cette circulaire tente d’instaurer.
Exemple 1 : Selon la circulaire, il y a legs fictif (et donc application des droits de succession) dans le cas suivant : A et B sont mariés sous le régime de la communauté légale. A est preneur et tête assurée (assurance décès) ; B est bénéficiaire. B décède avant A. La compagnie d’assurance ne doit donc pas verser de capital puisque B n’est pas la tête assurée et que la police d’assurance se poursuit, avec désignation d’un autre bénéficiaire. Le nouveau droit des régimes matrimoniaux prévoit qu’une assurance-vie qui se poursuit au nom du conjoint survivant est considérée comme un « bien propre » de ce conjoint avec « obligation de récompense » à la communauté dans la mesure où les primes ont été payées au moyen de fonds communs des époux. Selon l’article 16 du Code des droits de succession, pour la perception des droits de succession, il n’est pas tenu compte des récompenses qui se rattachent à la communauté ayant existé entre le défunt et le conjoint survivant si le couple avait, au décès du prémourant, des enfants ou descendants en vie. La situation échappe aux droits de succession. Selon la circulaire cependant, il faut considérer qu’il y a legs fictif au sens de l’article 8, al. 4 C. Succ., considérant que A « est appelé » à recevoir des sommes ou valeur en vertu d’un contrat d’assurance sur la vie, dès lors que A peut racheter la police. Comment justifier cette position alors que ce droit au rachat dans le chef de A existe indépendamment du décès de B et, qu’en outre, A n’exercera peut-être jamais son droit au rachat ?
Exemple 2 : A et B sont tous les deux preneurs et têtes assurées ; Aucun versement n’interviendra au seul décès de A ou au seul décès de B ; Au décès de A et B, C sera le bénéficiaire du contrat. Au décès de A (ou de B), B ou (A) reprend tous les droits attachés au preneur d’assurance (soit mettre en gage, racheter ou encore céder ses droits), ceci aux termes d’une cession post mortem du contrat d’assurance. La circulaire traite cette cession post mortem comme une donation sous condition de survie du donataire, soumise aux droits de donation pour la moitié de la valeur de rachat dans l’hypothèse où les primes ont été payées au moyen de fonds communs, indépendamment de la question de savoir si le conjoint survivant a effectivement racheté le contrat. Cependant, la loi sur les assurances n’implique pas d’acceptation du cessionnaire (condition requise pour qu’il y ait donation), ce qu’a admis le SDA…
Exemple 3 : A est seul souscripteur, A et B sont têtes assurées, avec une cession unilatérale post mortem par A de tous ses droits résultant du contrat d’assurance à B. Ici encore, la circulaire analyse cette situation comme une donation (car sans contrepartie) indirecte sous condition de survie du donataire. Or, une donation suppose l’acceptation de la donation par le donataire, par principe inexistante puisque la loi relative aux assurances ne prévoit pas un document portant acceptation.
La doctrine est unanime : la nouvelle circulaire viole non seulement le principe de la légalité de l’impôt mais également celui de la non-rétroactivité de la loi fiscale.
Assurément, si elle est appliquée, la circulaire donnera lieu à de nombreux litiges qui devraient toutefois se solder en faveur du contribuable.
Me Sylvie Leyder