Le fait d’acheter un immeuble en répartissant l’achat entre, généralement, les parents (usufruitiers) et les enfants (nus-propriétaires), est une technique d’optimisation fort ancienne des droits de succession, très efficace, et très aisée à mettre en œuvre. Probablement eu égard à ces qualités, elle a également été remise en cause par le fisc ces dernières années. On le sait, Vlabel l’avait mise au ban, avant de faire amende honorable suite à une décision du Conseil d’Etat du 12 juin 2018 annulant la position officielle adoptée par le fisc flamand…

Mais qu’en est-il à l’heure actuelle de la position de l’administration centrale, toujours compétente pour Bruxelles et la Wallonie ?

Après une première tentative de prise de position, le 18 juillet 2013, similaire à la position flamande annulée, puis une tentative de correction, très insatisfaisante, adoptée le 23 septembre 2019, l’administration centrale a enfin émis une position qui tient un peu mieux la route, ce 26 juin 2020 (Rép. RJ, N° S 9/06-07).

Les lignes directrices de cette (très brève) position officielle sont les suivantes.

  • La donation préalable ne doit pas avoir de date certaine : rien dans le texte de l’article 9 du C. succ. n’exige que la donation ait date certaine.

En effet, les fonds peuvent être donnés par acte authentique belge ou étranger (date certaine), comme par acte sous seing privé, par tradition manuelle ou par donation indirecte; dans ces trois derniers cas, il n’y a pas de date certaine.

  • Pour établir que l’opération d’achat de l’immeuble n’est pas une donation cachée, la preuve de la date de la donation préalable des fonds à l’enfant doit donc être établie, mais peut l’être par tous les moyens légaux, à l’exception du serment et des simples affirmations des parties elles-mêmes ou des documents émanant d’elles.

Nous pouvons à nouveau déduire de ceci qu’un simple extrait de compte au nom de l’enfant, indiquant la présence de la somme sur son compte, par exemple, est une telle preuve.

La présomption de libéralité est donc renversée dès que l’acquéreur de la nue-propriété peut prouver qu’il était propriétaire du prix d’achat de la nue-propriété à la suite de la donation et qu’il a réellement affecté ces fonds au paiement de sa part dans le prix d’achat. Il importe dès lors peu que ces fonds aient été, ou non, donnés au nu-propriétaire par l’acquéreur de l’usufruit la veille de l’acquisition scindée (tant que le passage par le patrimoine de l’enfant peut être prouvé).

  • Le moment « pivot » est le moment du paiement de sa part du prix (et/ou de l’acompte) par le nu-propriétaire ; c’est à ce(s) moment(s)-là que l’enfant nu-propriétaire doit établir la preuve que le paiement n’émane pas de son parent usufruitier (ce qui en ferait une donation cachée, au jour de l’acte d’achat), mais bien que la somme a transité par son patrimoine après avoir quitté celui de son parent.

Cette preuve est plus aisée à apporter s’il s’agit d’une donation réalisée par transfert bancaire, mais la preuve de l’existence d’une donation indirecte (par exemple, le fait que le paiement de l’enfant soit effectué par rachat partiel d’une police d’assurance-vie financée initialement par les parents) est également valide.

Pouvons-nous dès lors enfin espérer un peu de sérénité dans ce débat qui n’aurait jamais dû être initié ?

 

Séverine SEGIER