En matière de TVA, le lieu de localisation d’une opération imposable (livraison de biens ou prestation de services) détermine le pays dans lequel l’opération est susceptible d’être soumise à la TVA. L’identification du lieu de localisation est donc une question cruciale pour le livreur de bien ou le prestataire de services.
Pour les prestations de services fournies à des assujettis agissant en tant que tels (opération business to business (« B2B »)), le lieu des prestations est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si les services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ses services est l’endroit où cet établissement stable est situé. Lorsque le prestataire de services est, en fonction de la détermination du preneur de service effectif, redevable de la TVA, il est dans son intérêt d’identifier correctement celui-ci. Il dispose à cet effet de critères dont il doit tenir compte (article 22 du règlement européen d’exécution n°282/2011).
Dans un arrêt du 7 mai 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») a précisé les obligations pesant sur les prestataires de service lorsque le preneur possède une filiale dans un autre Etat. Par la même occasion, elle a quelque peu clarifié la notion d’établissement stable.
Les faits étaient les suivants.
L’entreprise polonaise DANG YONG ELECTRONICS (ci-après « DANG YONG ») réalise des assemblages de cartes des circuits imprimés pour le compte de LG DISPLAY CO.LTD, une société établie en Corée (ci-après « LG COREE »). Les composants nécessaires à la confection des assemblages étaient fournis à DANG YONG par une filiale polonaise de LG COREE, LG DISPLAY POLOSKA (ci-après « LG POLOGNE »).
LG COREE restait le propriétaire des biens pendant l’ensemble du processus. Une fois assemblées, les cartes de circuits imprimés mises en œuvre étaient remises à LG POLOGNE qui les utilisait pour produire des modules TFT LCD. Ces modules, qui étaient la propriété de LG COREE, étaient livrés à une autre société LG DISPLAY GERMANY GMBH.
DANG YONG avait facturé ses services à LG COREE (relation B2B) sans imputer la TVA polonaise au motif que LG COREE lui avait assuré ne pas disposer d’établissement stable en Pologne car elle ne disposait pas de travailleurs salariés, de biens immobiliers ou d’équipements techniques.
L’administration fiscale polonaise n’était pas du même avis. DANG YONG décida d’introduire un recours devant sa juridiction nationale. Dans ce cadre, la juridiction nationale posa les deux questions préjudicielles suivantes à la CJUE :
- le seul fait qu’une société établie en dehors du territoire de l’Union européenne possède une filiale sur le territoire polonais permet-il de déduire l’existence d’un établissement stable en Pologne, au sens de l’article 44 de la directive 2006/112 et de l’article 11, § 1er du règlement d’exécution n°282/2011 ?
- en cas de réponse négative à la première question, l’entreprise tierce est-elle tenue d’examiner les relations contractuelles entre la société établie hors du territoire de l’Union et la filiale pour déterminer si la première dispose d’un établissement stable en Pologne ?
La Cour décide comme suit quant à l’existence d’un établissement stable
Afin de répondre à la première question préjudicielle, la CJUE examine la notion d’établissement stable. Elle rappelle la définition visée à l’article 11, alinéa 1er du règlement UE n°282/2011 selon laquelle : l’établissement stable désigne « Tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visée à l’article 10 de ce règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement ». En l’espèce, LG COREE ne disposait pas de moyens humains, de biens immobiliers ou d’équipements techniques propres en Pologne.
La CJUE rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle une filiale peut constituer un établissement stable de son siège étranger. Cette appréciation doit se faire à la lumière de la réalité économique et commerciale et ne peut dépendre du seul statut juridique de l’entité concernée (la filiale). Une filiale n’est donc pas considérée automatiquement comme un établissement stable de sa société-mère. Cela dépendra de chaque situation concrète appréciée à la lumière de la définition d’établissement stable. La CJUE confirme en réponse à la première question préjudicielle, qu’une filiale peut être considérée en même temps comme un établissement stable d’une société-mère non européenne.
Quant à l’obligation pour le prestataire de services d’identifier un établissement stable
En réponse à la seconde question qui lui est posée, à savoir quelles sont les obligations du prestataire de services pour identifier l’existence d’un établissement stable, la CJUE considère en premier lieu que le prestataire doit examiner la nature et l’utilisation du service presté au preneur. Lorsque cet examen ne lui permet pas d’identifier l’établissement stable du preneur, il doit examiner en particulier si le contrat, bon de commande et le numéro d’identification TVA qui lui a été communiqué par le preneur, identifient l’établissement stable comme preneur de services. L’important est ici de savoir si c’est l’établissement stable qui paie le service.
Si un prestataire de services ne peut identifier l’établissement stable du preneur sur la base de ces critères, il peut partir du principe que les services sont fournis au lieu où le preneur a établi le siège de son activité économique.
La Cour décide dès lors que le prestataire de services n’est pas tenu d’examiner la relation contractuelle entre une société-mère établie en dehors de l’Union européenne et sa filiale sur le territoire de celle-ci.
En conclusion, la CJUE reconfirme, conformément à sa jurisprudence antérieure, qu’une filiale d’un preneur de services peut être considérée comme un établissement stable de sa société-mère. Elle ne met toutefois pas fin aux discussions avec les administrations fiscales sur cette problématique car elle n’apporte pas une réponse à la question de savoir quand précisément une filiale constitue un établissement stable de la société-mère.
La CJUE évite toutefois de faire peser une obligation de contrôle lourde sur le prestataire de services puisqu’il n’est pas tenu de procéder à l’examen détaillé des relations contractuelles du preneur de services.
Angélique PUGLISI