Ces dernières années, Vlabel, le service des impôts flamand, a tenté à plusieurs reprises de circonscrire l’engouement des donateurs flamands pour la réalisation de donations mobilières notariées devant un notaire hollandais, ce qui permet d’allier en toute légalité la sécurité civile d’un acte notarié, et l’absence de coût fiscal de la donation, sous condition de survie de 3 ans. Une proposition de loi (Ecolo/Groen/CD&V/Spa/PS) déposée tout récemment, le 17 juin dernier, prévoit néanmoins l’obligation de soumettre tous les actes de donations notariés à l’enregistrement, y compris par conséquent les actes étrangers.
Si cette proposition devait être votée, cela signifierait donc la fin des actes notariés effectuées aux Pays-Bas pour éviter (légalement) de payer en Belgique les droits d’enregistrement de 3%, 3,3%,5,5% ou 7% sur une donation mobilière.
A noter qu’elle a été déposée sous le bénéfice de l’urgence, encore qu’il soit permis de se demander à quelle urgence il est fait allusion : comment en effet justifier celle-ci, alors qu’elle tend à contrer une situation légale qui prévaut (sans autre contestation que celle de Vlabel), depuis le 1er décembre 1939, date d’entrée en vigueur du code des droits d’enregistrement ?
Comme souvent, ce que Vlabel n’obtient pas par ses prises de position prudentielles très hardies, pourra sans doute in fineêtre obtenu par la voie d’une modification légale en faveur de sa thèse. Ainsi, en matière de donations mobilières, Vlabel avait par exemple émis un avis selon lequel une donation avec réserve d’usufruit ne pouvait plus être réalisée sans procéder à un enregistrement préalable pour ne pas donner lieu au paiement des droits de succession au décès du donateur. Cette position très critiquée a été annulée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 12 juin 2018, la considérant – à raison – comme illégale.
Mais les trois Régions risqueraient d’être mises au même diapason : si les droits d’enregistrement sont régionalisés, la compétence de décider des actes obligatoirement enregistrables est quant à elle restée fédérale. C’est donc au niveau fédéral que cette proposition de loi a été déposée.
Toutes les donations ne sont cependant pas visées par cette obligation de soumission aux droits de donation : seules les donations notariées le sont.
En d’autres termes, un donateur pourra toujours faire don d’objets mobiliers (des tableaux, des bijoux, des billets de banque, etc.) « de la main à la main ». Les donations d’argent par virement bancaire, de créances, de droits d’un un contrat d’assurance-vie, en pleine propriété et avec un pacte adjoint (en vue de prévoir, notamment, une clause de retour, une charge de rente, etc.) seront toujours possibles sans devoir soumettre la donation à l’enregistrement, mais toujours avec les (mêmes) conséquences en droits de succession si le donateur décède dans les trois ans (ou, pour les titres de sociétés familiales flamandes, sept ans), conséquences auxquelles sont d’ailleurs également exposées les donations devant notaire étranger à l’heure actuelle.
Ceci étant, et indépendamment des critiques légistiques légitimes auxquelles une telle modification légale devrait faire face, un donateur qui envisage de procéder à une donation devant un notaire hollandais doit certainement le faire rapidement, puisque la loi, une fois adoptée, entrerait en vigueur dix jours après sa publication au Moniteur belge.
Cette modification, si elle vient à être adoptée, pourrait faire craindre une augmentation des tarifs des droits de donation mobilière (une fois l’obligation d’enregistrement légalement verrouillée, il est très simple d’augmenter les taux) ; il faut donc espérer que le législateur régional n’ait pas oublié l’enseignement tiré de la baisse drastique de ces mêmes taux il y a à présent une quinzaine d’années, qui avait encouragé la pratique des donations enregistrées et considérablement augmenté les recettes de l’Etat.
Toutefois, l’on pourrait tout autant rencontrer la situation inverse, où les trois Régions rivaliseraient de concurrence (comme elles l’ont déjà fait pour les donations d’entreprises familiales, qui en Région wallonne sont désormais totalement exonérées de droits de donation à certaines conditions), pour attirer de potentiels riches donateurs, puisque c’est le lieu du domicile du donateur qui détermine la Région compétente pour la taxation des donations qu’il réalise de son vivant.
Espérons que les Régions réaliseront qu’il est plus de leur intérêt financer de miser sur les gains fiscaux indirects (générés par la présence à long terme sur leur territoire de familles susceptibles de réaliser des donations et par la possibilité de réinjection des fonds donnés dans le tissu économique, la valorisation du patrimoine immobilier, etc.), que sur le gain immédiat provenant d’un impôt unique.
Séverine SEGIER